Brobeck Jean-Paul - Un miroir pour trois visages

Automne

Il saisit sa pipe, son paquet de tabac. Il laisse faire ses mains. Elles ont appris le geste jusqu’à la perfection.
Oeuvre du temps.
Il prélève le tabac entre le pouce et l’index. C’est le majeur qui est chargé de bourrer la pipe juste comme il convient. Trop serré, il faudrait aspirer fort; pas assez, le tabac se consumerait vite. Il avait fallu des années pour atteindre le juste équilibre.
Préparer une pipe, c’est un peu comme vivre : une question de juste mesure.
Il présente doucement la flamme de l’allumette. Pas question de briquet. Une pipe mérite une allumette Une pipe est un objet unique, une allumette aussi.
Les premières bouffées s’élèvent lentement. Elles ravissent le nez. Les suivantes seront pour la bouche, la gorge. L’odeur est toujours pour les autres. Le fumeur, lui, ne profite plus de l’arôme. C’est de “ l’intérieur “ qu’il goûte le tabac.
C’est un peu comme quand on s’écoute parler. Les autres perçoivent votre voix différemment et nous sommes tous bien étonnés quand nous entendons la première fois notre enregistrement.

Pipe aux lèvres, il s’engage sur le chemin de la colline. Il avance doucement, à pas mesurés, s’arrête de temps en temps.
L’automne a envahi la campagne. Le vert des prés commence à décliner. Les premières colchiques étoilent les pâturages. On a rentré les animaux. Les nuits sont déjà trop fraîches.
Ce matin, il y avait du brouillard, mais le soleil a vite triomphé. Maintenant le ciel est bleu: couleur d’éternité.
Les raisins ont été vendangés; mais il reste de-ci de-là, une petite grappe, quelques grains oubliés.
Un peu plus haut commence la forêt. Une forêt de châtaigniers avec le tronc qui s’élance bien droit.
Dans les feuilles mortes, on trouve les châtaignes : cosses vertes d’où s’échappent les fruits vernis.
Et puis, il y a les champignons qui jouent à cache-cache.
Il flotte par dessus tout cela un silence à peine troublé par le chant des oiseaux.
Il flotte par dessus tout cela une odeur de sérénité, de bonheur aussi.
L’homme s’arrête un instant, le temps que son coeur se mette à l’unisson; le temps de savourer chaque seconde.
Puis il reprend sa marche car il a rendez-vous. Rendez-vous avec le soleil, rendez-vous avec la lumière qui se faufile à travers les branches et qui illumine chaque feuille.
Voilà ce qu’il est venu chercher : la lumière à travers les feuilles, la caresse des derniers rayons, la force de vivre, la force d’espérer, d’endurer l’hiver, d’atteindre le printemps.


Oh ! oui, le printemps ! avec ses espoirs, ses graines qui germent, la vie qui reprend.
Oh ! oui : surtout ne pas mourir au printemps !
Si déjà il faut mourir, il voudrait mourir en automne.
S’endormir comme la nature.
Oui s’endormir heureux, content.
Car l’automne vois-tu, c’est la saison des promesses tenues.

Analyse d'audience
Les photographies, reportages, textes et poemes sont la propriété intellectuelle de Jean-Paul Brobeck et ne peuvent être utilisés qu'avec l'autorisation écrite de l'auteur.

http://www.xiti.com