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A seize ans,
Je suis entré à lEcole Normale comme on entre en prison. Il y avait tout dabord lénorme portail, le mur denceinte puis le parc avec un séquoia magnifique et, au milieu, un grand bâtiment gris.
Cest là, lunivers de mes seize ans.
Et dire que je métais battu pour y entrer. Mais, fils douvrier, cétait le seul espoir daccéder à quelques études.
On nous avait dressé la liste du trousseau obligatoire, marqué de notre nom, et cest en blouse grise réglementaire que nous suivions les cours de nos professeurs.
Les journées commençaient bien avant laube et se terminaient très, très tard.
On ne nous épargnait aucune peine.
Il fallait former, à la dure, les maîtres de demain.
Alors les journées sécoulaient toutes pareilles. Une lettre parfois, parenthèse dans la grisaille. Cest à cette époque-là que jappris que lachat dun simple stylo bille peut constituer un événement.
Les professeurs pouvaient se montrer exigeants. On ne nous permettait que de travailler.
Et puis, il y avait les surveillants.
Celui qui menait son monde avec sérénité, sans le moindre sourire et lautre, un peu plus débonnaire.
Mais ils avaient tous deux la même façon de nous réveiller.
Des lampes dune clarté cruelle, un debout là-dedans et je me retrouvais, les pieds nus, sur le parquet glacé.
Cest de cette époque-là que date mon incapacité de faire la grasse matinée.
Et puis, il y avait les dimanches.
Ce jour-là, laumônier remplaçait les surveillants.
Nous lavions surnommé labbé bouchon car il avait pris lhabitude de visiter chaque famille en annonçant sa venue, faisant mettre au froid, une bouteille de Gewurztraminer.
Labbé bouchon officiait le dimanche matin et venait recruter son petit monde au pied du lit.
Il avait, pour chacun, un mot gentil.
Alors, pour lui plaire, mais sans besoin profond, nous faisions cercle, autour de lui, pendant les mystères.
Il y a bien longtemps que jai oublié le visage des deux surveillants et je ne me souviens déjà plus de celui de labbé bouchon. Mes pieds ont gardé la hantise du parquet froid et je continue, depuis trente ans, à me lever bien avant laube.
Il a fallu trente ans aussi pour comprendre que seul lamour est plus fort que le temps.
Mais que voulez-vous ?
A seize ans, on na pas le coeur assez grand.
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