Un miroir pour 3 visages
Brobeck Jean-Paul
A cause du clair de lune.


Il y a des gens qui achètent leur maison sur un coup de tête.
Il en existe d’autres qui achètent leur maison sur un coup de cœur.
Moi, j’ai acheté ma maison à cause d’un clair de lune.
Non, ne souriez pas ! Cachez ce petit sourire qui veut fleurir sur vos lèvres. Acheter une maison, c’est une chose sérieuse.
J’ai toujours vécu dans la maison paternelle, une grosse bâtisse construite par mon grand père il y a presque une centaine d’années. Grand père habitait la campagne, mais comme bien d’autres, il venait travailler à l’usine là-bas, à l’entrée de la ville. Quinze kilomètres à pied, chaque matin et chaque soir. Cela ne pouvait durer. Alors, il s’était décidé après bien des réflexions, à quitter son village.
C’est de cette façon que la famille était devenue citadine.


La maison c’était l’œuf primordial, le cocon, le terrier. Les grands parents occupaient le premier étage, avec mes deux oncles restés célibataires. Nous habitions le rez-de-chaussée.
La maison était l’objet de tous nos soins. Pas une année sans repeindre la clôture, retapisser une pièce, aménager le grenier ou la cave.
Et puis, grand-père avait beau habiter la ville, il avait laissé son cœur, là-bas, dans son village entre son verger et la première ligne de salades du potager.
On ne peut déraciner un vieil arbre. Ou alors, le vieil arbre avait décidé de rapatrier la terre où il était né. Grand père avait tellement insisté jusqu’à ce que ses trois fils finissent par construire un poulailler et quelques cages pour les lapins. Oh, ils furent choyés ces lapins. Bien sûr l’herbe que grand père allait chercher dans les faubourgs n’avait pas la même saveur que celle des champs en plein vent, mais les lapins finissaient quand même par grandir et c’est grand mère, qui, le moment venu, allait les apporter au boucher. Grand père voulait bien élever mais pas question de les tuer.
Alors c’est du bout des dents qu’il dégustait presque à regret. Paix des ménages oblige. Grand-père préférait les nouilles au lapin.
Voilà, c’est ça l’univers de mon enfance, l’univers de mon adolescence aussi. Puis, la vie m’a pris. Elle m’a conduit loin de ma ville natale. A quelque huit cents kilomètres de chez moi, j’ai loué un appartement.
Mais je ne me suis jamais vraiment senti chez moi. Ici les murs prenaient la distance impersonnelle des gens que l’on fréquente et qui n’appartiennent pas à la famille. Et pourtant, j’ai mis toutes mes forces à m’intégrer. Mais comme grand-père qui avait rapatrié une partie de son village, moi j’ai emporté avec moi mes traditions, mes usages.
Pas de Noël sans sapin. Pas de fêtes son kouglof. Pas un ami à qui je ne serve un verre de vin de mon pays.
Un jour, j’ai dû prendre la difficile résolution de m’installer définitivement. Alors je décidai d’avoir ma maison, avec mon petit jardin. Qui sait, un ou deux arbres fruitiers, un petit grenier mais surtout une cave. Une cave pour bricoler. Une cave pour y mettre mes bouteilles.
J’ai longtemps cherché. Une maison ça ne s’achète pas sur un coup de tête. J’ai beaucoup visité. Une maison c’est peut-être pour tout une vie.
Et puis un jour, un ami m’a parlé d’une maison à vendre.
Je suis allé la voir, un soir, car je travaillais tard en ces temps-là.
Les gens me firent visiter.
La cuisine était sous verrière. Il y avait un immense clair de lune.
J’ai demandé que l’on éteigne la lumière.

Et c’est ainsi que j’ai acheté ma maison … à cause d’un clair de lune.



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