Un miroir pour 3 visages
Brobeck Jean-Paul


Dans le coin du salon, l’horloge : une comtoise. Ce n’est pas une horloge qui vient du fond des âges. Non, c’est une horloge récente, fabriquée sur mesure par un artisan qui avait passé des années pour acquérir le savoir faire des anciens. La comtoise est le rêve de ma mère. Elle avait hésité longtemps, puis un jour, elle s’était décidée. Alors elle sortit le mètre, prit les mesures et commanda son horloge.
On la fabriqua selon les indications, comme si ce coin de mur avait été destiné depuis toujours à accueillir une horloge.

L’horloge prit possession du salon. Elle rythma notre vie avec son tic-tac régulier, implacable. Et quand elle s’arrêtait faute d’avoir été remontée, le silence devenait pesant, insoutenable.

Particularité qui nous surprit : la comtoise sonne les heures juste 3 minutes avant ; puis elle retentit une seconde fois juste 3 minutes après l’heure : comme si d’un côté elle prévenait et de l’autre elle confirmait. Etrange : mais il paraît que la coutume vient de loin.

L’horloge possède une mécanique d’autrefois, tout en laiton, avec des rouages qui s’imbriquent les uns dans les autres, avec son cadran émaillé marqué avec des chiffres romains, ses aiguilles ouvragées. Mais ce qui lui donne vie, ce sont les deux gros poids en fonte noire. Ils sont là suspendus à leur ficelle. Ils semblent immobiles et profitent de la nuit, quand personne ne les regarde pour descendre lentement, lentement. Alors il faut surveiller et le moment venu, il faut se saisir de la petite manivelle pour faire remonter avec bien des précautions les poids. Bizarre : ne dit-on pas remonter une montre à ressort ? L’expression trouve peut-être son origine dans la danse des poids.

Quand nous avons vendu la maison maternelle, j’ai emporté l’horloge. Maintenant elle a retrouvé une place, un coin de mon salon, un coin qui semblait lui aussi destiné à la recevoir, un coin qui semblait lui tendre ses bras.
Et, à quelques centaines de kilomètres de mon pays natal, l’horloge continue sa marche implacable.

J’ai toujours été fasciné par les horloges et dans ma maison, chaque pièce comprend la sienne. Il s’agit pour la plupart de régulateurs fabriqués par mon grand-père que je croyais horloger. De fait l’ancêtre cassait des cailloux dans une carrière alsacienne, les horloges c’étaient son passe-temps, son domaine privé. L’homme ne savait ni lire ni écrire. Alors c’est un voisin qui commandait le catalogue de l’usine et grand-père mettait une croix à côté des pièces qu’il fallait commander.

Fasciné par les horloges : oui. Elles comptent notre vie, elles sont les témoins de nos joies et de nos peines. Elles assurent la continuité, car une horloge reste dans la famille et se transmet de génération en génération. Mais les horloges nous enseignent bien d’autres choses encore.
Regardez le balancier. N’est-il pas le reflet de nos hésitations, de notre marche en aveugle. Un coup à droite, un autre à gauche, balancement entre deux extrêmes, car l’équilibre n’est atteint qu’une seule fois, définitivement.
Et puis il y a les poids qui représentent l’énergie vitale. Ils représentent cette force au plus profond de nous, cette force qui nous permet d’affronter l’adversité, les coups du sort.
Et les aiguilles qui semblent immobiles et qui avancent tout doucement : c’est la vie qui s’écoule comme du sable entre nos doigts.

Là-bas, dans le coin du salon,
L’horloge avance en claquant des talons
Du bonheur au malheur,
Rien n’arrête la ronde des heures.

Là-bas, le balancier
Compte les heures sans jamais s’arrêter
Il avance à pas régulier
Il est sûr de sa destiné
Car chaque seconde à peine entamée
S’enfuit pour l’éternité.

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