Dans le coin du salon, lhorloge : une comtoise. Ce nest pas une horloge qui vient du fond des âges. Non, cest une horloge récente, fabriquée sur mesure par un artisan qui avait passé des années pour acquérir le savoir faire des anciens. La comtoise est le rêve de ma mère. Elle avait hésité longtemps, puis un jour, elle sétait décidée. Alors elle sortit le mètre, prit les mesures et commanda son horloge.
On la fabriqua selon les indications, comme si ce coin de mur avait été destiné depuis toujours à accueillir une horloge.
Lhorloge prit possession du salon. Elle rythma notre vie avec son tic-tac régulier, implacable. Et quand elle sarrêtait faute davoir été remontée, le silence devenait pesant, insoutenable.
Particularité qui nous surprit : la comtoise sonne les heures juste 3 minutes avant ; puis elle retentit une seconde fois juste 3 minutes après lheure : comme si dun côté elle prévenait et de lautre elle confirmait. Etrange : mais il paraît que la coutume vient de loin.
Lhorloge possède une mécanique dautrefois, tout en laiton, avec des rouages qui simbriquent les uns dans les autres, avec son cadran émaillé marqué avec des chiffres romains, ses aiguilles ouvragées. Mais ce qui lui donne vie, ce sont les deux gros poids en fonte noire. Ils sont là suspendus à leur ficelle. Ils semblent immobiles et profitent de la nuit, quand personne ne les regarde pour descendre lentement, lentement. Alors il faut surveiller et le moment venu, il faut se saisir de la petite manivelle pour faire remonter avec bien des précautions les poids. Bizarre : ne dit-on pas remonter une montre à ressort ? Lexpression trouve peut-être son origine dans la danse des poids.
Quand nous avons vendu la maison maternelle, jai emporté lhorloge. Maintenant elle a retrouvé une place, un coin de mon salon, un coin qui semblait lui aussi destiné à la recevoir, un coin qui semblait lui tendre ses bras.
Et, à quelques centaines de kilomètres de mon pays natal, lhorloge continue sa marche implacable.
Jai toujours été fasciné par les horloges et dans ma maison, chaque pièce comprend la sienne. Il sagit pour la plupart de régulateurs fabriqués par mon grand-père que je croyais horloger. De fait lancêtre cassait des cailloux dans une carrière alsacienne, les horloges cétaient son passe-temps, son domaine privé. Lhomme ne savait ni lire ni écrire. Alors cest un voisin qui commandait le catalogue de lusine et grand-père mettait une croix à côté des pièces quil fallait commander.
Fasciné par les horloges : oui. Elles comptent notre vie, elles sont les témoins de nos joies et de nos peines. Elles assurent la continuité, car une horloge reste dans la famille et se transmet de génération en génération. Mais les horloges nous enseignent bien dautres choses encore.
Regardez le balancier. Nest-il pas le reflet de nos hésitations, de notre marche en aveugle. Un coup à droite, un autre à gauche, balancement entre deux extrêmes, car léquilibre nest atteint quune seule fois, définitivement.
Et puis il y a les poids qui représentent lénergie vitale. Ils représentent cette force au plus profond de nous, cette force qui nous permet daffronter ladversité, les coups du sort.
Et les aiguilles qui semblent immobiles et qui avancent tout doucement : cest la vie qui sécoule comme du sable entre nos doigts.
Là-bas, dans le coin du salon,
Lhorloge avance en claquant des talons
Du bonheur au malheur,
Rien narrête la ronde des heures.
Là-bas, le balancier
Compte les heures sans jamais sarrêter
Il avance à pas régulier
Il est sûr de sa destiné
Car chaque seconde à peine entamée
Senfuit pour léternité.