Un miroir pour 3 visages
Brobeck Jean-Paul
Le cor du postillon.


Ce matin, en promenant mon chien, j’ai eu froid. Allez savoir pourquoi j’ai brusquement pensé à tous ceux qui, malgré la neige et le verglas, font leur métier. En rentrant chez moi, j’ai entendu les nouvelles. Il paraît que les camions sont bloqués sur les autoroutes et que si l’on n’a rien à faire de très urgent, il vaut mieux rester bien au chaud chez soi.

Voilà, je ne sais pas si ce sont ces quelques brides d’informations qui m’ont mis la puce à l’oreille, mais je m’en vais vous raconter une histoire que j’ai entendue dans ma tête.

Chercher le courrier dans sa boîte aux lettres est une chose vraiment des plus banales et l’on ne s’étonne même plus de recevoir une lettre postée la veille par un ami à des centaines de kilomètres.

Mais il n’en n’a pas été toujours ainsi.
Je veux parler de l’époque où l’on avait ni voiture, ni train, ni d’avion . A cette époque-là, le courrier voyageait par diligence. J’en ai vu une dans le musée de la poste : une grande voiture jaune avec comme emblème, un cor pas de chasse, non, un cor plus petit, dans lequel le conducteur assis en plein vent, soufflait pour annoncer l’arrivée de la malle-poste.

Mon histoire remonte donc à cette époque-là : une époque rude où les routes et chemins n’étaient pas sûrs, où il ne faisait pas bon voyager. Et pourtant, le postillon mettait un point d’honneur à passer quand même, à arriver à l’heure. Alors, à l’étape, on s’arrêtait dans un relais : une auberge pour les voyageurs et une écurie pour les chevaux. Parfois on s’arrêtait pour passer la nuit. Parfois il fallait continuer. Alors on attelait des chevaux frais, quatre ou six, et l’on repartait.

Mon histoire se passe donc un jour d’hiver. La veille il était tombé une grosse couche de neige, puis, durant la nuit, le thermomètre s’est mis à baisser si bien que le lendemaint matin, tout était gelé. Le froid venait vous mordre le bout du nez et l’on avait intérêt à porter des habits bien chauds.
Sur la diligence, le postillon s’était emmitouflé. Il avait beaucoup de mal à diriger ses chevaux car la neige avait formé des congères et les chevaux peinaient, les pauvres, à avancer.
Le temps passait et la diligence avait pris beaucoup de retard. Mais le conducteur n’était pas homme à s’avouer vaincu, alors avec autorité, mais avec gentillesse, il lançait ses ordres et les chevaux quoique exténués, continuaient d’avancer.

La nuit allait bientôt tomber quand il aperçut au loin le clocher du village étape. Alors il saisit son cor et souffla comme il n’avait jamais soufflé. C’était pour annoncer sa venue, pour annoncer sa victoire sur les éléments.
Mais il avait beau souffler de toutes ses forces, aucun son ne sortait de l’instrument…

Quand ils arrivèrent à l’auberge, les voyageurs furent bien contents d’aller se réchauffer devant la grande cheminée. Le postillon avait froid lui aussi, mais il s’occupa tout d’abord de ses chevaux. Il les frotta avec de la paille car ils étaient pleins de sueur, puis il leur donna de l’avoine et de l’eau dont il prit bien soin qu’elle soit tempérée.

C’est seulement le devoir accompli, que l’homme alla rejoindre l’aubergiste. Il suspendit son cor au porte manteau et se dirigea vers le comptoir.
« Tu aurais au moins pu nous avertir de ton arrivée », lui reprocha l’aubergiste.
« Je l’ai fait, répondit le postillon, mais aucun son n’est sorti de mon cor. »
« Raconte cela à qui tu voudras » rétorqua le patron de l’auberge.

Et, comme cela faisait des années qu’ils se connaissaient, l’incident fut vite oublié. Le postillon s’assit devant une grosse assiette de soupe fumante. Il avait bon appétit et la conscience tranquille.

Dans l’auberge, les voix s’étaient tues. Chacun mangeait, chacun reprenait des forces.
C’est à ce moment-là, dans ce silence presque irréel que le cor se mit brusquement à sonner de toutes ses forces.

On cria au sortilège, au miracle. Mais d’aucuns prétendent que dehors, dans le froid, les notes avaient gelé et qu’à l’intérieur, bien au chaud, elles venaient tout juste de dégeler.

Moi, je ne crois ni aux sorcières ni aux miracles, mais cette histoire de cor qui se met à sonner tout seul me plait bien. Ce n’est peut-être après tout que le sort qui venait de remercier le postillon pour tout le mal qu’il s’était donné.

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