Un miroir pour 3 visages
Brobeck Jean-Paul
Le grand silence.

Les scientifiques sont des gens sérieux : c’est pourquoi je me méfie d’eux.
À force d’étudier, de disséquer, d’aller au fond des choses, ils ont fini par tuer la poésie.
Ils vont finir par découvrir et puis tuer la Vie.

Tu me regardes, comme on regarde un malade et tu m’adresses un de ces sourires que l’on destine à ceux que l’on sait “petits”, moins instruits : un de ces sourires qui fleurissent quand on parle de ceux qui croient aux sortilèges, de ceux qui croient aux mystères.
Mais n’oublie pas, ces gens-là, vois-tu, regardent avec leur coeur. Ces gens-là croient encore au bonheur.
Alors, si tu as quelques instants à perdre avec moi, viens, assieds-toi : je veux te raconter le printemps.

Chez moi, là-bas, les saisons avancent à pas cadencés. Il y a l’été, le vrai été, avec sa chaleur torride, ses journées étouffantes, ses nuits qui dégoulinent de sueur. Il y a l’automne et son grand feu d’artifice, l’hiver, le vrai hiver, avec de la vraie neige, du vrai froid qui s’infiltre partout, qui vient vous mordre sous la laine et s’en va tout geler, tout endormir jusqu’au fond des racines.
Chez moi, les saisons ne font pas semblant, elles annoncent clairement leur nom et il en est bien ainsi, car aux jours d’ouvrage, il faut des jours de fêtes, aux jours de chaleur, il faut la fraîcheur du soir car toute chose sur terre n’existe que par son contraire. C’est certainement un petit paragraphe de la Grande Loi.

Les botanistes disent qu’après l’hiver vient le printemps et que c’est le soleil, la chaleur retrouvée qui fait monter la sève et que c’est la sève qui fait éclater les bourgeons.
Ils étudient le phénomène depuis bien des années. Ils font des mesures de plus en plus précises, mais ils sont passés à côté de la vérité.

Tu vois, quand l’hiver s’en va, oubliant quelques plaques de neige durcie, quand l’hiver doit battre en retraite car rien, même pas lui ne peut arrêter la marche du temps, et bien, juste avant le printemps, il y a dans la nature comme un grand silence.

La bise a fini de hurler dans les branches mortes et les oiseaux ne sont pas encore de retour.
Oui, il y a ce grand silence. Mais ce n’est qu’une apparence, car au fond de chaque bourgeon, tu sais, là, bien au chaud, au milieu des écailles, au milieu du duvet, il y a la petite flamme de la Vie, et chaque bourgeon se pose la même question.
Il pense aux jours de soleil, aux nuages qui apportent la bonne petite pluie ou la violence de l’orage, il pense à toute la force qu’il faudra trouver pour que renaissent fleurs et fruits. Il pense à la caresse de l’abeille et à la gifle du vent. Il sait que s’il accepte de vivre, il devra aussi mourir pour que renaisse un autre printemps.

Tu sais, c’est à la sortie de l’hiver, pendant le grand silence, que meurent les bourgeons.
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