Brobeck Jean-Paul - Un miroir pour trois visages
Le petit chien.

L’entrée du magasin est gardée par une barrière. Le côté droit est réservé au passage des clients filtrés par un tourniquet métallique. Le côté gauche laisse passer les caddys.

Nous venons là, depuis des années déjà. Nous venons quand il pleut ou alors quand nous n’avons pas d’autre idée de promenade. Oh ! de n’est pas pour acheter. Nous venons pour faire un tour, pour passer le temps.

Mon « gamin » – un Labrador blanc – a toujours eu peur de passer sous la barrière. Alors parfois, il faut que je tire un peu sur sa laisse.
Mais une fois le danger passé, le gamin se promène fièrement. Il est un peu chez lui. Pensez, depuis le temps !

Le magasin est en réalité une serre qui a grandi trop vite. Alors, d’agrandissement en agrandissement, on finit par y trouver de tout.

Ce sont tout d’abord les fleurs de saisons, des primevères du printemps aux roses de Noël, avec un peu plus loin, les plantes vertes, toujours vertes, hors du temps. A droite, ce sont les barquettes avec les pensées, les œillets, les géraniums, ceux qui dressent leur tête et les autres tombants, destinés aux appuis de fenêtres ou aux balcons.
Il y a le rayon des bulbes, celui des arbres fruitiers. Vous trouverez également les fleurs artificielles, tellement ressemblantes qu’il faut les toucher pour déterminer leur vraie nature.

Mais c’est au fond du magasin que je vais vous conduire. Le fond du magasin est réservé à l’animalerie. Il y a parfois foule devant les cages surtout quand elles contiennent de tout petits chiots.
Aujourd’hui beaucoup de cages étaient vides. Qui sait, ce n’est peut-être pas la bonne saison.
Il n’y avait que deux petits chiens. Le premier se réfugiait sous une lampe infrarouge. On sentait bien qu’il avait besoin de chaleur. Une lampe ne remplace pas une maman. Dans la cage d’à côté, un petit Labrador se dressait sur ses pattes.
Je lui ai tendu ma main. Il a léché mes doigts et brusquement c’est tout une partie de mon passé qui m’est revenu en tête.
Alors je me suis retrouvé quelques années en arrière quand mon gamin avait la même taille, quand il n’était lui aussi qu’une grosse touffe de poils soyeux. C’était hier. C’était il y a 6 ans déjà …
Maintenant, c’est un fier gaillard de quarante kilogrammes, un gaillard avec son caractère, ses habitudes, ses petites manies aussi, enfin tout ce qui constitue sa vie, notre vie.
J’étais fasciné par ce petit chien. Mâle ou femelle, je ne sais pas. Et c’est à regret que j’ai retiré ma main.
Alors, nous sommes repartis, je dirais presque bras dessus, bras dessous, avec mon gamin et, pour vous dire toute la vérité, c’est lui qui a tiré sur la laisse afin que je quitte des yeux le petit chien blanc.

Cette rencontre fugace a égratigné mon cœur. C’est tout notre passé commun qui est venu frapper à ma porte, toutes ces années qui ont filé trop vite et qui ont tissé ces liens qui nous retiennent si fort.

Là-bas, dans sa cage au fond du magasin, le petit chien blanc fait la fête à un autre client qui sera peut-être celui qui deviendrait son maître et qui l’emmènera qui sait un jour dans cette serre pour voir, dans les cages là-bas au fond du magasin, des petits chiens qui attendent leur maître …
Instants de lucidité. Instants où l’Eternité vous ouvre la porte sur le vrai et le beau.

Ce soir, au souper, le gamin, mon gamin est venu quémander.
Je n’ai pas su résister.


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