Il n'y a rien de normal.
Ce matin, cest un rayon de soleil qui est venu me chatouiller le bout du nez. Normal, car si javais correctement tiré les rideaux, le soleil nen naurait pas profité pour venir jeter un coup de dil curieux.
Dailleurs si ce nest pas le soleil qui vient me réveiller, mon chien veut bien sen charger. Quand « Monsieur » est réveillé, il se met à tourner, à bailler, et puis finalement, comme je fais la sourde oreille, il vient poser son museau sur ma main pour me dire « viens », il est lheure de te lever.
Cest comme cela chaque matin. Les matins, avec leurs tartines, lodeur du café, le rasoir, le gant de toilette, le coup de peigne
Et puis la promenade du chien.
Normal !
Tout cela semble normal, tout cela constitue notre vie, une vie qui se déroule normalement, comme si elle suivait une ligne tracée davance.
Et pourtant, il ny a rien de normal.
Cétait le 31 août 2000. le lendemain, nous partions en vacances. Les valises piaffaient dimpatience dans le couloir, et mon Labrador sétait couché tout près de la porte dentrée, de peur que nous allions peut-être loublier. Il était 18 heures quand je décidai daller envoyer un dernier message.
Le message envoyé, jai éteint mon ordinateur et jai voulu me lever.
Rien, plus moyen de me lever. Mes jambes refusaient de me porter. Tout dabord, je me suis mis à rire. Pas possible un truc pareil ! Et puis jai commencé à prendre peur. Alors, me laissant tomber sur le sol, jai rampé jusquau téléphone et jai appelé un ami médecin.
Cest ainsi que je me suis retrouvé à lhôpital, paralysé, que dis-je foudroyé par un accident vasculaire cérébral.
Incapable de faire les gestes les plus simples. Incapable de porter ma nourriture à la bouche.
Mon monde venait de basculer.
Il ny avait plus rien de normal.
Alors, jai lutté.
Alors, jai demandé un cahier et un crayon. Jai essayé de refaire des pages décriture. Au départ les points de mes « i » allaient se promener sur une autre page, et quand jessayais de toucher ma montre du bout de mon doigt, il se dirigeait tout droit sur mon oreille gauche.
Jai dû réapprendre à marcher. Vous savez que cest difficile de marcher, difficile de mettre un pied devant lautre. Quant à lescalier, nen parlons pas ! Comment faut-il faire pour monter un escalier ?
Voilà, je vous le dis franchement, sans volonté, je ne serai pas là pour vous raconter mon histoire. Sans ma sacrée volonté, je naurais pas choisi de vivre. Il ny avait quà se laisser glisser.
Mais je vous raconte mon histoire banale tout simplement parce que je naime pas du tout le mot « normal ».
Il ny a rien de normal. Il ny a rien qui va de soi.
Jai appris quil faut regarder une fleur comme si cétait la dernière quil nous était donné de voir.
Il faut aimer comme si cétait la dernière fois.
Il faut respirer à pleins poumons comme si cétait la dernière bouffée dair.
Il faut écouter le chant des oiseaux comme si cétait la dernière le dernier son qui accompagnerait notre solitude silencieuse.
Normal !
Je vous en prie, chassez ce mot de votre vocabulaire.
Il ny a rien de normal.
Tout est tellement solennel.