Brobeck Jean-Paul - Un miroir pour trois visages
Il n'y a rien de normal.

Ce matin, c’est un rayon de soleil qui est venu me chatouiller le bout du nez. Normal, car si j’avais correctement tiré les rideaux, le soleil n’en n’aurait pas profité pour venir jeter un coup de d’œil curieux.
D’ailleurs si ce n’est pas le soleil qui vient me réveiller, mon chien veut bien s’en charger. Quand « Monsieur » est réveillé, il se met à tourner, à bailler, et puis finalement, comme je fais la sourde oreille, il vient poser son museau sur ma main pour me dire « viens », il est l’heure de te lever.

C’est comme cela chaque matin. Les matins, avec leurs tartines, l’odeur du café, le rasoir, le gant de toilette, le coup de peigne…
Et puis la promenade du chien.
Normal !

Tout cela semble normal, tout cela constitue notre vie, une vie qui se déroule normalement, comme si elle suivait une ligne tracée d’avance.


Et pourtant, il n’y a rien de normal.

C’était le 31 août 2000. le lendemain, nous partions en vacances. Les valises piaffaient d’impatience dans le couloir, et mon Labrador s’était couché tout près de la porte d’entrée, de peur que nous allions peut-être l’oublier. Il était 18 heures quand je décidai d’aller envoyer un dernier message.
Le message envoyé, j’ai éteint mon ordinateur et j’ai voulu me lever.
Rien, plus moyen de me lever. Mes jambes refusaient de me porter. Tout d’abord, je me suis mis à rire. Pas possible un truc pareil ! Et puis j’ai commencé à prendre peur. Alors, me laissant tomber sur le sol, j’ai rampé jusqu’au téléphone et j’ai appelé un ami médecin.

C’est ainsi que je me suis retrouvé à l’hôpital, paralysé, que dis-je foudroyé par un accident vasculaire cérébral.
Incapable de faire les gestes les plus simples. Incapable de porter ma nourriture à la bouche.

Mon monde venait de basculer.
Il n’y avait plus rien de normal.


Alors, j’ai lutté.
Alors, j’ai demandé un cahier et un crayon. J’ai essayé de refaire des pages d’écriture. Au départ les points de mes « i » allaient se promener sur une autre page, et quand j’essayais de toucher ma montre du bout de mon doigt, il se dirigeait tout droit sur mon oreille gauche.

J’ai dû réapprendre à marcher. Vous savez que c’est difficile de marcher, difficile de mettre un pied devant l’autre. Quant à l’escalier, n’en parlons pas ! Comment faut-il faire pour monter un escalier ?

Voilà, je vous le dis franchement, sans volonté, je ne serai pas là pour vous raconter mon histoire. Sans ma sacrée volonté, je n’aurais pas choisi de vivre. Il n’y avait qu’à se laisser glisser.

Mais je vous raconte mon histoire banale tout simplement parce que je n’aime pas du tout le mot « normal ».
Il n’y a rien de normal. Il n’y a rien qui va de soi.

J’ai appris qu’il faut regarder une fleur comme si c’était la dernière qu’il nous était donné de voir.
Il faut aimer comme si c’était la dernière fois.
Il faut respirer à pleins poumons comme si c’était la dernière bouffée d’air.
Il faut écouter le chant des oiseaux comme si c’était la dernière le dernier son qui accompagnerait notre solitude silencieuse.

Normal !
Je vous en prie, chassez ce mot de votre vocabulaire.
Il n’y a rien de normal.
Tout est tellement solennel.





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