Brobeck Jean-Paul - Un miroir pour trois visages
Promener le chien.

Rituel du petit matin : café noir, tartine beurrée. Salle de bain, mousse à raser, gant de toilette, brosse à dent. Et puis promener le chien.
Le « gamin » était descendu avec moi. Été comme hiver, il fait le tour du jardin, s’arrête devant chaque fleur. Puis, il était remonté se recoucher pour profiter à fond de la chaleur du lit.
Il a l’oreille fine. Il devine mes gestes, les chaussures que j’enfile et, quand je tends la main pour prendre sa laisse, il dégringole les marches de l’escalier.

C’est comme cela, chaque matin, depuis qu’il est entré dans notre vie. Nous voulions un mâle. La nichée en comprenait trois sur onze. Ce n’est pas nous qui l’avons choisi. C’est lui qui est venu se poster devant ma femme. Elle l’avait pris dans ses bras. Il avait posé sa tête, fermé les yeux et s’était endormi confiant. Peut-on résister ?

Promener le chien. J’allais oublier. Mais non ! Il est là pour me rappeler à l’ordre, piaffant d’impatience, prêt, s’il le faut, à bondir sur la porte d’entrée fraîchement repeinte. Alors il n’y a pas de temps à perdre. Nous voilà donc sur le trottoir. C’est presque toujours le même circuit. Il est des lampadaires qui exigent leur salutation quotidienne. Et puis il y a la chienne du buraliste, une belle fille qui attend sur le pas de sa porte. Il y a des jours de grandes effusions, de reniflements intenses, de réelle complicité et d’autres ou le couple connaît une froideur passagère. Allez savoir !

Ce matin, notre promenade nous conduisit dans le parc. Arrêts impératifs devant certains arbres. Il est des critères de choix qui nous échappent. Une dame qui promène un caniche. Les chiens se reniflent, les maîtres se saluent. Et puis la question, « il a quel âge votre Labrador ? »
Question anodine ; en apparence du moins. « Il va sur ses cinq ans. »

Et voilà ! Cinq ans déjà. Cinq ans qu’il a pris progressivement possession de la maison et puis de ma vie. Cinq ans que la petite boule de poils blancs s’est métamorphosée en un rude gaillard de presque quarante kilos. Cinq ans, qu’il m’oblige à sortir, deux fois par jour, quel que soit le temps.
Cinq ans aussi, de complicité, de caresses, d’amitié et pourquoi avoir peur des mots, cinq ans d’amour. Je n’ai pas vu passer le temps.

Mais dans cinq ans ? Sera-t-il toujours aussi jouasse ? Continuerons-nous nos promenades quotidiennes et, là-bas, au croisement des rues, va-t-il encore guetter le petit geste de ma main qui indique la direction à suivre.

Et moi, dans cinq ans, aurais-je encore la force de le promener. La vie nous accordera-t-elle de prolonger cette parenthèse de bonheur que je voudrais illimitée.

Et voilà, je suis rentré de promenade, le cœur lourd, la tête bouillonnante de questions.

On ne devrait jamais demander l’âge des chiens.





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