Un miroir pour 3 visages
Brobeck Jean-Paul
Le tailleur de pierre et l'enfant.
L’homme est assis sur une sorte de tabouret à trois pieds. Il suffit de trois pieds pour assurer la stabilité. Une chaise à quatre pieds est toujours difficile à placer. Une toute petite irrégularité du sol, et votre assise est instable. L’efficacité est atteinte quand on s’est débarrassé du superflu. Je vous le dis, trois pieds, c’est largement suffisant.

Devant l’homme, un bloc de pierre. Un bloc qu’il avait choisi avec soin, un choix dicté par l’expérience de nombreuses années de pratique. À voir les cheveux gris, on aurait peut-être pu se faire une idée de son âge, mais à regarder plus attentivement, ce sont les rides, la peau fripée qui constituent des indices bien plus précis.
Et puis il y a surtout les mains. Des mains burinées, des mains creusées, des mains qui portent les traces des blessures que lui ont infligées les éclats de roche. Oui, ce sont les mains qu’il faut regarder. Les mains racontent l’histoire de la vie.

La main droite porte le maillet ; la gauche tient le ciseau.
Le savoir le l’homme s’est réfugié dans ses gestes. Gestes de toute une vie, gestes mille fois répétés, gestes d’une efficacité extrême. Pas un seul de geste de trop. C’est là, la preuve de l’expérience.
Et le maillet vient frapper le ciseau. Et le ciseau arrache à la pierre juste le morceau qu’il faut. Ni trop petit, ni trop grand, comme si la pierre attendait l’entaille depuis toujours. Comme si l’homme savait l’endroit exact où il fallait porter le coup de ciseau. Comme si l’homme savait lire le cœur de la pierre.

Et lentement, régulièrement, comme les battements d’un cœur, le maillet continue à s’abattre sur le ciseau et les éclats de pierre continuent à jaillir avant de retomber.


L’homme travaille en silence. L’homme est en communion avec sa pierre. Il n’y a plus de place pour rien : entente, complicité entre l’homme et sa pierre.


Le petit garçon s’est rapproché doucement. Ce sont les bruits qui ont éveillé sa curiosité, alors il est venu voir. Cet homme assis devant son bloc de pierre l’intrigue, c’est peut être cela qui explique son silence ou alors la solennité de l’instant, un peu de timidité. Allez savoir !

Le petit garçon s’assied à même le sol. Le tailleur de pierre continue son œuvre. Et lentement, inexorablement, l’homme arrache des éclats à la pierre. Et lentement, inexorablement, je dirais presque naturellement, la pierre se transforme.
On voit apparaître une tête, puis un cou, un corps avec des pattes.

Alors, le petit garçon se lève et va se placer devant l’homme.
Ils se regardent, les yeux dans les yeux, complices de la même naissance.

Comment savais-tu qu’il y avait un cheval caché dans la pierre ?

Et le silence retombe, emmaillé du sourire qui vient de fleurir sur le visage de l’homme.


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